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Histoire et Esotérisme
6 avril 2009

La jeunesse de d'Artagnan

Num_riser0001On ne savait rien de précis sur l'origine de la querelle des seigneurs de Pouyastruc et d'Artagnan, qui datait, suivant la tradition, de la première croisade. Ce qui était certain, c'est que jusqu'au jour où le comte de Comminges, dont ils étaient vassaux, les eut menacés de terribles représailles, un serviteur de Pouyastruc ne pouvait s'égarer sur les terres de d'Artagnan, ou un manant de d'Artagnan marauder dans les bois de Pouyastruc sans qu'il fût immédiatement appréhendé et pendu haut et court.
Aussi disait-on, en Béarn : s'accorder non point comme chiens et chats, mais bien comme Pouyastruc et d'Artagnan.
Le manoir de d'Artagnan était sis, entre Tarbes et Rabastens, sur les bord d'un gave bleu, au pied d'un coteau fleuri de bruyères et de rhododendrons. Au commencement du règne de Louis XIII, l'aile droite du castel n'était plus habitée que par la bise et les chouettes ; l'aile gauche et le donjon servaient aux appartements. Là était né, en 1607, Jacques-Onfroy, le dernier du nom.
A l'âge de quinze ans, Jacques-Onfroy, élevé loin des villes, dans un pays où la nature, par la puissance de son soleil et la splendeur de ses sites, forme à son image les hommes qui en sont issus, était devenu, à courir les montagnes et à vivre avec les paysans, un garçon solide, en mêmet temps que les leçons savantes de son père l'avaient rendu très habile au métier des armes.
M. d'Artagnan était fier de son fils, en qui il avait mis toutes ses espérances ; c'était sa vengeance de gentilhomme pauvre contre le riche seigneur de Pouyastruc, propriétaire de grands domaines mais père d'un enfant malingre, que son orgueil et sa méchanceté avaient fait haïr dans tout le pays.
Quand le jeune Henri de Pouyastruc, suivi de son écuyer, le sieur de Bernac, un colosse, et Pancrazio, son maître d'armes, un Italien sournois, traversait les villages, il fallait s'incliner très bas sous peine d'être bâtonné.
On ne s'inclinait pas devant Jacques : on lui souriait et on l'aimait, car il était bon et brave.
Il n'avait, lui, ni écuyer ni maître d'armes ; quand il courait les champs, c'était avec son inséparable Jeannot, un paysan de son âge, déluré et malin, sans pareil pour pêcher les truites du gave, dénicher les pies ou prendre aux collets les lapins.
Or, par une belle matinée de printemps, Jeannot découvrit non point une truit à ses hameçons, ni un lapin à ces lacets, mais une nichée de fauconneaux piallant, tout duveteux et bientôt prêt à prendre leur vol.
Des faucons ! Jeannot ne voulait point priver son maître de l'agrément d'une si belle prise, car la fauconnerie était un plaisir de noble entre tous. D'un bond il fut au château. Le jeune d'Artagnan s'éveillait.
"Combien sont-ils ? s'écria-t-il en sautant du lit aux premiers mots.
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- Trois, seulement...
- Achève.
- C'est au saut du grave.
- Eh bien ?
- Sur les terre de Pouyastruc.
- Un nid est à qui le trouve. As-tu peur ?
- Oh ! nenni... Souvenez-vous pourtant que messire Henri a plusieurs fois assuré qu'il vous ferait bâtonner, s'il vous prenait chez lui.
- Bâtonner un d'Artagnan ! Jeannot, mon ami, ce sont deux mots qui ne s'entendent pas mieux ensemble que d'Artagnan et Pouyastruc. N'oublie pas que j'ai promis de couper les oreilles à qui les accoupleraient devant moi. Méfie-toi pour les tiennes - en route !"
Ce disant, Jacques-Onfroy mit un pourpoint, jadis bleu d'azur, se coiffa sur l'oreille d'un béret orné d'une plume de paon, et sorti, ayant au côté, trop longue pour sa taille, une épée qui lui battait les mollets.
Le saut du grave était un rocher abrupt d'où le torrent tombait à pic. Les oiseaux de proie avaient bâti leur nid à mi-roc, dans un trou à fleur de pierre, à vingt pieds du sol, et l'ascension pouvait être périlleuse sans l'habitude et l'adresse des montagnards. Aussi, en prévision d'une descente plus difficile encore, puisqu'il faudrait protéger le nid, Jeannot avait-il apporté une longue corde.nfant avaient suivi les bords de la rivière, qui roulait avec bruit dans son lit rocailleux. Ils la traversèrent sur un tronc de sapin, jeté en travers par un coup d'orage, et passèrent sur le domaine de l'ennemi héréditair des d'Artagnan. Au-dessus de leur tête, le tiercelet (mâle), inquiet pour sa progéniture menacée, tournoyait dans le ciel. Ils se hissèrent après mille efforts, en s'aidant des aspérités et des racines, jusqu'à un plateau étroit d'où l'on dominait la vallée. A portée de leurs mains, les fauconneaux craintifs s'étaitent tapis dans une infractuosité. Les jeunes chasseurs voulurent reprendre haleine ; mais quand ils se retournèrent, quelle ne fut pas leur stupeur en voyant, au pied du rocher, Henri de Pouyastruc, Pancrazio et le sieur de Bernac, qui les regardaient en ricanant :
"Eh bien, mon petit monsieur d'Artagnan, nous chassons donc sur les terres du voisin ? disait Henri sur un ton persifleur.
- Comme vous voyez, mon grand monsieur de Pouyastruc ! répondit Jacques sans s'émouvoir?
- Par mon ancêtre Godefroid, qui monta le premier à l'assaut de Jérusalem, me voici forcé de vous faire bâtonner comme un manant, Messire !
- Il faudra d'abord monter me prendre, mon cher baron ; sinon c'est moi qui descendrai pour vous tirer les oreilles !
Des compliments furent un instant échangés avec cette aménité ; enfin Henri, comprenant qu'il n'aurait pas le dernier mot, serra les dents, et se tut.
Le sieur de Bernac, qui préférait l'action à la discussion, n'hésita pas, lui, à tenter l'assaut ; une pierre adroitement lancée par Jeannot l'arrêta, du rest, au premier essai d'escalade, et refroidit singulièrement son ardeur.
Alors l'Italien donna son avis :
"Jé pensé, dit-il, qu'il vaut mioux là prendré par la faminé. La faminé fait sortir lé loup dou bois."
Num_riser0002L'héritier des Pouyastruc se rangea à cette opinion, et les trois alliés s'assirent au bord du gave, sur le gazon.
Jacques et Jeannot étaient assiégés.
Une heure, deux heures passèrent.
Jacques s'était installé commodément, et sifflotait d'un air dégagé en balançant ses jambes dans le vide. Le jeune paysan, plus soucieux, s'impatientait.
"Je mangerai bien un morceau de pain ! murmura-t-il.
- Notre déjeuner se prépare, répondit d'Artagna avec calme, et bientôt on nous apportera, avec un pain blanc, un petit vin d'Armagnan comme on en boit rarement sur la table de mon noble père."
Jeannot, persuadé que c'était une moquerie, n'insista pas, mais pensa que ce genre de plaisanterie est déplacé quand l'estomac est vide.
Du côté des assiègeants on s'énervait d'attendre ; l'Italien se promenait et usait le temps à décapiter les marguerites en les cinglant de son épée ; Henri tapait du pied ; le sieur de Bernarc bâillait.
"Bernarc, dit tout à coup Henri, vous allez vous rendre aux Esclots, qui sont plus rapprochés que Pouyastruc, et vous nous rapporterez des victuailles. J'ai faim. Surtout, silence sur ce qui se passe ici !
- Cependant, voulut observer l'autre en jetant un coup d'oeil inquiet vers d'Artagnan...
- Zé souis là !" fit Pancrazio.
L'écuyer avait à peine disparu dans le taillis, que d'Artagnan, se penchant vers son compagnon, lui glissa rapidement ces mots : "Attention, fais comme moi !" et, profitant de ce que l'Italien avait le dos tourné, il dégringola de son roc avec l'agileté d'un écureuil, en criant :
"Jeannot ! Sus au petit ! sus !"
Le maître d'armes avait fait prestement volte-face, et avait instinctivement tiré l'épée, en disant :
"Vous né passerez pas ! Zé vous pourfendrais plous tôt !
- Zé crois que zé passérai, au contraire !" répliqua Jacques-Onfroy moqueur.
Les lames se choquèrent et se tâtèrent. Pancrazio riait à belles dents du juvénile enthousiasme de son adversaire. Lui, bretteur redouté, pensait avoir raison en quelques minutes de ce gamin, et voulait s'amuser ; mais, dès les premières passes, il se prit à réfléchir et à surveiller son jeu...
Jacques, profitant de cette confiance, l'avait piqué à la poitrine, et c'était juste si le maître d'armes s'était trouvé à la parade.
"hé ! fit-il, il paraît qué nous connaissons l'escrimé à la française... Nous allons prendré la méthoda italiané. Zé né sérais pas mécontent dé riré un poco !"
Il se mit à bondir à droite, à gauche avec une adresse de singe.
"Tou savais céloui-là, pétit !... Régardé cetté botté !... Paré cellé-là !"
Il plaisantait, mais le jeune homme ne rompait pas d'une ligne, ne se découvrait pas, et arrivait toujours à la riposte au grand étonnement de l'Italien. En même temps il surveillait Jeannot... lequel ne perdait point son temps.
"Ohé, Jeannot, commandait Jacques... donne-lui un croc-en-jambe. Très bien. Coupe ta corde en trois, je te dirai pourquoi... Parfait... Maitenant ficelle-moi le petit bonhomme... Et à nous deux, signor Pancrazio !" Vous dites donc que vous voulez "mé pourfendré à l'italiané"... Vous vous y prenez mal. Suivez plutôt les conseils. Voici comment on attaque... ce coup se pare ainsi... une feinte, maintenant... puis vous liez l'épée très simplement... et par une secousse légère... hop !... vous faites - comme ceci - sauter l'arme de votre adversaire... dans le gave ! Le signor Pancrazio se trouve alors désarmé. - Et si vous vous faites un pas, vous êtes mort !"
Le spadassin s'était trouvé les mains vides, sans savoir comment son épée en était sortie... Il restait hébété.
"Zé souis battou ! avoua-t-il. Zé souis battou ; zé mé rends !"
Il dut, à son tour, se laisser ligoter avec le deuxième bout de corde de Jeannot. Pancrazio et le dernier des Pouyastruc gisaient maintenant au pied du rocher et ne soufflaient mot.
Mais il en manquait un.
Or le sieur de Bernac ne tarda pas à paraître, porteur d'un panier au ventre rebondi. Il marchait allègrement. Par malheur, sur la lisière du bois son nez rencontra - fâcheuse rencontre - la pointe de l'épée de d'Artagnan, qui s'était dissimulé derrière un gros chêne.
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Avant d'être remis de sa frayeur, il était attaché avec le troisième morceau de chanvre, que la prévoyance de Jacque avait réservé à son intention.
Les trois prisonniers furent placés côte à côte, sous l'oeil des vainqueurs, qui s'étendirent nonchalamment sur la fougère.
"Je te disais bien, déclara le jeune d'Artagnan en ouvrant le panier aux provisions, que notre déjeuner était en route !... A table, Jeannot ! Voici le pain blanc annoncé et le petit armagnac, plus un poulet dodu, et du blanc fromage de chèvre. Trois verres ! Celui-ci est de trop !" ajouta-t-il en le lançant dans le torrent.
Et, se versant une rasade :
"A votre santé, baron de Pouyastruc !" fit-il.
Henri était pâle de colère ; le sieur de Bernac roulait des yeux effarés ; seul insouciant, l'Italien, rêveur, cherchait à reconstituer dans son esprit le coup merveilleux qui l'avait désarmé.
La collation terminée, d'Artagnan dit à Jeannot :
"Va chercher les faucons."
Il fit lever les prisonniers, et quand le petit paysan fut revenu, il commanda "En route !" indiquant de la pointe de son épée qu'il était inutile de résister.
L'arrivée au castel de d'Artagnan fut triomphale. Parvenu dans la cour d'honneur, il rangea à droite - côté des chouettes - Henri de Pouyastruc et le sieur Bernac, et, ayant assemblé les paysans et les serviteurs, il se plaça sur le perron de gauche :
"Messire de Pouyastruc, dit-il, vous avez un manoir crénelé aux tours puissantes, aux murs inébranlables : notre castel tombe en ruines ; vous avez des terres immenses : nos récoltes nous nourrissent à peine. La fortune vous sourit, et cependant vous avez le coeur lâche, puisque vous me faites attaquer par deux hommes d'armes, moi, un enfant ; et cependant vous avez l'âme basse, puisqu'un jour ne se passe sans que vous nous railliez méchamment. Souvenez-vous donc de ces mots : Si désormais, vous ou quelqu'un des vôtres, par calomnie ou violence, touche au nom de d'Artagnan, foi de gentilhomme, j'irai prendre le haut baron de Pouyastruc votre père derrière ses murailles, jusque dans son donjon, et je le ferai pendre comme un manant !
- C'est qu'il en est capablé, lé petit ! murmurati Pancrazio, conquis par cette bravoure.
- Maintenant, détachez-les, et renvoyez-les !" dit Jacques.
Henri, blessé dans son orgueil, pleurait de rage ; il s'enfuit en courant pour cacher plus tôt sa honte d'être bafoué ; de loin, l'écuyer et le maître d'arme suivaient mélancoliquement.
Quand ils furent hors de vue, M. d'Artagnan, qui avait assisté à cette scène, ouvrit ses bras à son fils :
"Jacques-Onfroy, s'écria-t-il, tu seras maréchal de France !"
Quarante ans plus tard, cette prédiction se réalisait.

J. JACQUIN

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