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Histoire et Esotérisme
14 janvier 2010

L'omelette

Num_riser0015Le 6 avril 1794, pendant cette période sanglante de la Révolution qu'on a appelé la Terreur, un homme, vêtu d'une veste grossière et coiffé d'un bonnet de laine, entrait, pour y chercher refuge, dans une carrière ouverte, à Clamart, aux environs de Paris.
Ce fugitif était de haute taille. Il avait la tête grosse, les épaules larges, le corps robuste. Mais ses jambes étaient grêles, ses mains fines, son teint pâle. Il ressemblait plutôt à un écrivain ou à un artiste, qu'à un rude travailleur des champs ou des ateliers. Son costume paraissait un déguisement, sous lequel il se trouvait mal à l'aise.
L'homme qui se cachait ainsi était en effet un savant et un philosophe, doux, honnête et bon, que le tribunal révolutionnaire avait mis hors la loi, plusieurs mois auparavant : c'était Condorcet. Longtemps le condamné avait reçu l'hospitalité dans une maison amie où on le cachait avec le plus grand soin à tous les regards. Mais, pris d'un généreux scrupule, il n'avait pas voulu compromettre plus longtemps ceux qui risquaient de se perdre pour le sauver, et il s'était enfui, en courant tout droit devant lui, sans savoir où il allait.
Après avoir réussi à sortir de Paris, il errait depuis la veille dans la campagne. Il était épuisé de fatigue. Ses jambes déshabituées de la marche, ne pouvaient plus le porter, et la faim le torturait. Dans sa triste retraite, le moindre bruit lui faisait croire qu'on avait retrouvé sa trace ; il croyait à chaque instant sa dernière heure arrivée.
C'est ainsi qu'il passa la nuit et une partie de la journée du lendemain. Mais la faim le pressait de plus en plus. Il résolut de tout risquer pour la satisfaire.Num_riser0016
Condorcet sortit de sa cachette et se traîna, en boîtant, jusqu'à un cabaret de Clamart, où il pria qu'on lui fit une omelette.
"De combien d'oeufs ?" lui demanda l'hôtelier, du ton le plus naturel. Condorcet hésita. Cet homme, qui savait tant de chose, ignorait le nombre d'oeufs qu'un ouvrier mange à son repas. A tout hasard, il répondit :
"Douze !"
L'hôtelier fronça le sourcil. Un soupçon traversa son esprit, et, comme on était sévèrement puni de mort lorsque l'on avait donné asile à un condamné, il voulut se renseigner.
"Quel est votre métier ? demanda-t-il.
- Charpentier.
- Charpentier ! Avec ces mains-là ?" s'écria d'un air soupçonneux l'hôtelier qui comprit que son client cherchait à se cacher.
Num_riser0017Le savant ne répondit pas.
Il fut dénoncé aux autorités et le soir même on l'entraînait à Bourg-la-ReineBourg-la-Reine, et on l'enfermait dans un cachot.
Le lendemain matin, quand le geôlier vint le chercher pour livrer aux gendarmes ce suspect dont le nom n'avait pas encore été demandé, il ne trouva plus qu'un cadavre.
Condorcet s'était empoisonné pendant la nuit, afin d'éviter l'échafaud.
Le pauvre philosophe était mort pour ne pas avoir su qu'il ne faut que deux oeufs pour faire une omelette !

Félix LAURENT

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