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Histoire et Esotérisme
3 janvier 2011

Faustus et Fausta

num_risation_janvier11_003Non content de régner en maître absolu sur l'univers entier, l'empereur Néron, le plus sanguinaire tyran dont l'histoire fasse mention, avait encore le désir de s'imposer, en qualité de grand artiste, à l'admiration de ses sujets. Bien qu'il fût un très médiocre musicien, il prétendait que nul au monde ne pouvait égaler dans l'art de la lyre et du chant. Il paraissait sur les théâtres, prenait part aux concours, et jamais, on le devine, les premières couronnes ne lui étaient refusées. D'abord il achetait les juges ; ensuite il ne se mesurait qu'avec des concurrents choisis à l'avance parmi les plus incapables ou les plus complaisants. Si, par hasard, quelque exécutant de mérite avait la folie de lutter contre un semblable rival, il ne survivait point à sa victoire, et des assassins étaient chargés de lui faire expier son talent.
Ces choses-là, personne à Rome ne les ignorait, personne,... hormis Faustus et Fausta.
Ils étaient frère et soeur. Faustus avait quinze ans ; Fausta, quatorze. Musiciens tous les deux, ils chantaient ensemble délicieusement et s'accompagnaient sur le lyre. Malgré leur jeunesse, ils étaient déjà célèbres ; les grands seigneurs payaient cher pour les entendre, et, lorsque les magistrats préparaient le programme des fêtes du cirque qu'aimaient tant les Romains d'alors, ils n'oubliaient point de s'assurer le concours de Faustus et de Fausta. Ceux-ci jouaient dans les intermèdes, et les spectateurs qui venaient applaudir avec une joie sauvage aux exploits des gladiateurs, célébraient par un concert de louanges le doux, l'innocent talent de ces enfants. Recherchés de tous, partout fêtés, enrichis par leur art, ils s'estimaient donc heureux et l'étaient véritablement, car ils s'aimaient d'un coeur tendre, et joignaient aux avantages de la fortune et de la renommée un trésor plus précieux encore, à savoir une conscience pure.
Mais, tandis qu'en apparence la destinée comblait leurs voeux, un orage épouvantable se préparait en silence et déjà planait sur leur tête...num_risation_janvier11_002
Regardez ! - L'empereur Néron est assis sur l'une des terrasses de sa splendide demeure, au sommet du mont Palatin. Un voile de pourpre jette un ombre rouge sur le siège incrusté d'or où le tyran repose tristement. Rien ne le distrait, rien ne le charme, ni les vapeurs d'encens qui s'échappent des cassolettes, ni le murmure des eaux qu'un architecte grec a conduite par miracle jusqu'à cette haute plate-forme qu'elles arrosent, ni les contorsions de son nain qui loge auprès de lui dans une boîte de cèdre, ni le ramage des oiseaux rares voletant sur des lauriers. Le tyran est triste ! Silencieux, il joue avec ses bagues, et Lucius, son confident, reste debout auprès de lui sans oser lui demander pourquoi il est ainsi triste...
L'empereur, enfin, se décide à prendre la parole, et, montrant d'un gest large la ville immense que le palais domine, la ville aux mille rues, aux mille temples, cette Rome éternelle à laquelle il commande et qui à l'univers :
"Lucius, dit-il, que m'importe cette puissance ? A quoi me sert-il de fouler aux pieds cette cité et d'être le roi des rois, si je perds ma réputation d'artiste ?
- Seigneur, répliqua le confident, il est des gloires que rien ne ternit. Aussi longtemps que ce monument restera sur sa base (et du doigt il désignait le Capitole), l'on parlera de Néron, l'incomparable musicien.
- Hélas !
- Pourquoi douter ? N'as-tu pas, grand Prince, remporté le prix de tous les concours ?
- Qu'importe !
- Il importe beaucoup, puisque cela prouve qu'il n'y a point de chanteur qui te soit supérieur.
- Erreur, mon bon Lucius, erreur ! On m'a prévenu, ce matin - et voilà le motif de ma douleur - que deux enfants maniaient mieux que moi la lyre, et tirent de leur gosier d'inimitables accents.
- Et ces virtuoses, comment se nomment-ils ?
- Faustus et Fausta.
num_risation_janvier11_004- Ah oui ! je sais... le frère et la soeur. Rome, il est vrai, les salue comme de jeunes prodiges, mais, crois-moi, Seigneur, le succès dont ils jouissent passera bientôt... Affaire de mode, d'engouement ! La voix de ces adolescents ne ressemble pas plus à la tienne que le cri de la cigale aux roulades du rossignol.
- Voilà, répondit Néron d'un air farouche, ce qu'il s'agit de vérifier. Si Faustus et Fausta ne méritent pas leur renommée, je leur permettrai de vivre ; mais si, par malheur, ils chantent mieux que moi... !
Le tyran n'acheva pas : un geste terrible acheva sa pensée, le geste du bourreau qui brandit la hache et va pour frapper. Lucius frissonna, car il flattait les vices de son maître, l'amour de la justice n'était pas complètement éteint de son âme, et volontiers, lorsqu'il le pouvait sans trop de risques, il prenait le parti des innocents. Il frémit donc, tout en gardant un prudent silence. L'empereur cependant appelait ses gardes :
"Qu'on m'amène ici Faustus et Fausta ! Qu'ils se hâtent : je les attends !"
Il se tut de nouveau. Soucieux, terrible, le front barré d'une grosse ride, il continuait de jouer avec ses bagues, et, autour de lui, son confident, son nain, ses serviteurs, tous tremblaient.
Pourtant le frère et la soeur avancent vers le palais. Ils se réjouissent, les insensés, d'être mandés devant le prince, et, dans leur naïveté, ils considèrent comme une suprême marque de faveur cet ordre que tout Romain de plus d'âge et d'expérience aurait pâli d'entendre. Tout en marchant, Faustus met à sa lyre des cordes neuves ; il les serre avec la clef d'ivoire, et les pince du doigt l'une après l'autre pour s'assurer qu'elles sont d'accord. Fausta, de son côté, répète à mi-voix les paroles de ses plus douces chansons. Les passants sourient en les voyant et les saluent amicalement :
"Bonne santé, Faustus !... Longue vie, Fausta !" Longue vie ! Voilà bien ce qu'il faut souhaiter à ceux qui s'acheminent vers le Palatin !
Maintenant les deux artistes sont devant Néron. Déjà le frère a préludé par de larges et magnifiques accords, et la soeur pose sur la cithare une main frémissante, inspirée... Un éclat brille dans l'oeil du tyran, et Lucius devine que si les enfants donnent au maître jaloux la mesure de leur talent, ils sont perdus, c'en est fait d'eux. Leur jeunesse et leur grâce touchent le coeur du confident : il s'approche comme pour mieux entendre, et, bien bas, bien bas, il glisse à l'oreille des exécutant ce rapide avis :
"Chantez faux !"num_risation_janvier11_001
Puis il se retire, et, debout derrière l'empereur, il avertit Faustus et Fausta, par une mimique expressive, du péril qu'ils vont courir. Il imite le geste terrible et menaçant que Néron faisait naguère, le geste du bourreau fauchant les têtes...
Cette éloquente pantomime est comprise par les musiciens. Loin de déployer leur art, ils jouent mollement, sans enthousiasme, sans passion ; l'accompagnement ne convient point au poème, le sont traîne et languit. Fausta même (elle était fort malicieuse) se permit, après plusieurs notes douteuses, un abominable couac ! Plus l'exécution devenait faible, plus le visage du tyran se rassérénait. Les notes douteuses l'enchantèrent ; le couac lui causa tant de joie, qu'il éclata d'un rire bruyant, et, lorsque la mélodie fut terminée :
"Retirez-vous, dit-il aux enfants ; vivez en paix, continuez paisiblement votre détestable cacophonie : je vous le permets volontiers."
Puis, se tournant vers son confident :
"O Lucius, s'écria-t-il, Néron demeure sans conteste le maître des musiciens comme le maître du monde !..."
Maître du monde, il ne devait plus l'être longtemps, le barbare ! Quelques mois après, détrôné, chassé de partout, poursuivi, il se vit contraint de mettre lui-même un terme à ses jours. Alors la populace, irritée, traqua dans les rues de Rome les favoris et les complices de cet empereur que l'on ne désignait plus que par ce mot : le Monstre ! Déjà, la plupart de ses familiers avaient été saisis, portés au milieu des carrefours, égorgés, déchirés. Lucius, caché sous la voûte d'un égout, avait, durant une semaine, échappé à toutes les recherches... Mais voilà qu'on a découvert sa retraite, et maintenant il fuit éperdu : la foule le poursuit, hurlante, assoiffée de sang. On le presse, on va l'atteindre... Cent bras se lèvent pour le saisir...
Tout à coup deux enfant se glissent entre le meurtrier et l'infortuné : "Faustus, crie le peuple, Faustus et Fausta !"
Less furieux abaissent leurs armes pour ne point blesser les artistes, et ceux-ci profitant de ce court répit, se mettent à chanter ensemble.
Que chantent-ils ? - L'hymne d'un poète grec qui conseille aux hommes la justice et la modération : "Respectons le suppliant ! Ne versons point le sang de nos semblables ; n'abusons point de nos victoires, et préférons la clémence à la rigueur !"
Telles sont les paroles que les adolescents profèrent d'une voix pénétrante et doucement unie aux sons de la lyre. Peu à peu la rage diminue, puis s'éteint dans l'âme du peuple. Faustus s'en aperçoit : il prend par le bras Lucius stupéfait et tremblant, aux côtés duquel se place aussi la gracieuse Fausta. Toujours chantant, le frère et la soeur s'avancent avec le fugitif vers le groupe si furieux tout à l'heure, et les rangs - ô prodige ! - s'ouvrent devant eux. Charmés par tant de charité, les Romains pardonnent, malgré ses fautes, au confident Néron, et lui permettent de se retirer librement sous la protection de ces enfants que lui-même, naguér, il avait sauvés.

H. GUY

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