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Histoire et Esotérisme
21 décembre 2012

Une équipée

D_cembre2012_011Fouettés par le vent glacé qui balayait la plaine couverte de neige, cinq dragons français désarmés, escortés par une patrouille allemande, étaient conduits au camp ennemi. C'était le lendemain de la bataille de Bapaume, pendant la malheureuse campagne de 1870. Victimes d'un succès chèrement payé, ils allaient en silence, enveloppés dans leurs grands manteaux, la figure pâle et amaigrie par le jeûne et la fatigue.
L'un des cinq prisonniers, moins résigné que ses camarades, se révoltait à l'idée d'être enfermé dans une forteresse allemande. La rage au coeur, il cherchait dans son esprit un moyen de se soustraire aux mains de l'ennemi. Lorsque la petite troupe arriva au camp prussien, ce dragon que le mauvais sort ne parvenait pas à abattre eut soudain une inspiration. Il se fit conduire auprès du général en chef.
Amené en présence du commandant prussien, notre homme débita d'un ton ferme une fable inventée en route. Il raconta qu'il était l'ordonnance du général Faidherbe, commandant l'armée du Nord, et que son cheval pris par les Allemands, appartenait à son chef.
La belle campagne du général Faidherbe avait inspiré à son adversaire une vive admiration. Avec une courtoisie inespérée, le général allemand écrivit une lettre au commandant des troupes françaises, et, rendant à la fois au soldat prisonnier sa liberté et sa monture, il le chargea d'aller la porter au général français.
Etonné lui-même d'une si complète réussite, et craignant un changement d'avis, le dragon se hâta de profiter de ces bonnes dispositions. Il sauta sur son cheval, et gagna au galop les avant-postes français. Bientôt il reconnut son régiment.
"C'est moi, les amis ! s'écria-t-il. Les Allemands ne nous tiennent pas encore ! Nous les retrouverons !"
Et il souriait en pensant aux bons coups qu'il se promettait de frapper.
Au quartier général, Faidherbe, seul en ce moment, penché sur une carte d'état-major, étudiait un plan de campagne. C'était un homme d'une cinquantaine d'années, grand, sec, les traits tirés par les veilles, les yeux fatigués par le travail. Mais, derrière les lunettes, on lisait dans son regard l'énergie et la loyauté du soldat. Il releva la tête quand l'aide de camp de service fit entrer le dragon, qui semblait tout heureux du bon tour joué à l'ennemi. Il prit la lettre du général allemand. Sa figure s'assombrit et ses sourcils se froncèrent.
"Que signifie ?... demanda-t-il d'une voix sévère au dragon décontenancé par cette brusque réception.
- Mon général, répondit ce dernier d'un ton mal assuré, j'étais prisonnier ; j'ai déclaré au général prussien que j'étais votre ordonnance et que mon cheval vous appartenait. Alors, il m'a rendu ma liberté et me voilà prêt à me battre encore.
Faidherbe se leva. Son attitude était moins rigide, sa physionomie moins sombre. Ce fut cependant d'une voix grave qu'il reprit :
"Soldat, vous avez mal agi. Les ruses sont permises en temps de guerre ; non le mensonge. Un Français ne doit jamais mentir. En mêlant le nom de votre chef à votre mensonge, vous vous êtes conduit avec une légèreté coupable. La courtoisie de mon adversaire , qui vous fait libre parce qu'il vous croit à mon service, prouve son estime. Croyez-vous qu'il conservera de votre général la bonne opinion dont il vient de témoigner, si je couvre votre conduite de mon autorité ? Non, n'est-ce pas ? Eh bien ! mon honneur ne doit supporter aucune atteinte, car je représente ici l'armée française !"
Le dragon avait perdu sa belle humeur et son maintien hardi. La tête basse, les bras pendants, il écoutait ces paroles vibrantes dont il comprenait bien la loyauté.D_cembre2012_012
Faidherbe lut dans le maintien du soldat ce qui se passait en son âme. Il le sentit ébranlé, mais il voulait plus, et il continua.
"Je comprends bien votre sentiment. Vous n'êtes pas un lâche. Vous ne fuyez pas. Vous revenez au camp français pour vous battre. Mais au lieu de le servir, vous lui faites tort en le déshonorant dans l'esprit de l'ennemi."
Faidherbe se tut un instant, observant le soldat.
Le dragon releva enfin la tête, et dirigea vers le général un regard franc.
"Vous avez raison, mon général, dit-il. Il ne faut pas que l'on doute de l'honneur d'un soldat français. Je retourne au camp prussien. Adieu, mon général !"
Faidherbe, ému par ces paroles prononcées d'une voix calme et par cette attitude si fière, marcha vers le dragon, et lui serra la main en disant :
"Vous êtes un brave coeur, soldat. Je n'attendais d'ailleurs pas moins de votre loyauté de Français. Maintenant, faites votre devoir."
Alors, devant tous ses camarades atterrés par un si généreux sacrifice, par un si noble sentiment d'honneur et de la dignité, on put voir le dragon monter à cheval, et se diriger vers le camp ennemi.
Faidherbe se découvrit sur son passage.
Un officier pleurait, et, de rage, un vieux sergent cassa entre ses dents sa pipe déjà trop courte.
Heureusement, l'armistice signé quelques jours plus tard rendit moins pénibles les conséquences de cette belle conduite, et le dragon fut définitivement rendu à son régiment sans qu'il en coûtât rien au respect de la vérité.

Félix LAURENT

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